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jeudi 17 mars 2016

Recension : Dieu Vivant par Étienne Fouilloux

Etienne Fouilloux Editions Beauchesne

La revue Dieu Vivant voit le jour au lendemain de la seconde guerre mondiale. Elle se distingue tant par sa tonalité que par la remarquable qualité et diversité de ses collaborateurs. Cette extraordinaire aventure intellectuelle et spirituelle nous est aujourd’hui contée par Etienne Fouilloux dans un ouvrage intitulé : Christianisme et eschatologie, Dieu Vivant, 1945-1955.

Quiconque s’intéresse à l’histoire du christianisme français au XXe siècle connaît l’excellence des travaux d’Etienne Fouilloux[1]. Dans le présent livre, il met en lumière la gestation, l’existence et la disparition de la revue Dieu Vivant dont, de 1945 à 1955, vingt sept numéros parurent aux éditions du Seuil[2].

« Les Cahiers Dieu Vivant naissent dans un temps qui fait songer aux pages les plus sombres : de l’Apocalypse par la violence et l’ampleur des cataclysmes déchaînés comme par l’atmosphère de mort spirituelle dans laquelle étouffe le monde. »[3]


Revue chrétienne à visée œcuménique et imprégnée d’une tonalité eschatologique tout droit héritée de Léon Bloy, Dieu Vivant réunira sous sa couverture et sous le patronage du « très curieux Marcel Moré [4]», quelques-unes des figures intellectuelles les plus importantes de son temps, à commencer par Jean Daniélou qui en fut la véritable cheville ouvrière. A celle-ci on ajoutera la participation d’autres grandes plumes catholiques : Louis Massignon, Henri de Lubac, Hans Urs von Balthasar, Jules Monchanin ou encore Gabriel Marcel. Les protestants et orthodoxes ne sont pas en reste, avec Karl Barth, Karl Jaspers, Oscar Cullmann ou encore Jacques Ellul d’un côté et Léon Zander, Vladimir Lossky ou Paul Evdokimov de l’autre. Au-delà du christianisme, les autres religions ne sont pas négligées : Massignon fait là son œuvre d’islamologue tandis que Monchanin traite des religions d’Asie orientale,  et l’on retrouve deux textes du grand philosophe juif Martin Buber au sommaire de Dieu Vivant.

« Le combat qu’il faut livrer aujourd’hui est d’abord spirituel. Ce serait lâcheté de s’y dérober. C’est pour ce combat que les cahiers Dieu Vivant groupe des hommes que rapprochent à la fois le goût des valeurs religieuses authentiques et le dégoût d’un certain christianisme dégradé qui a perdu don caractère de foi vivante pour n’être plus qu’une structure sociale. »[5]


Plus surprenant peut-être, la présence récurrente de nombres d’intellectuels que l’on ne saurait qualifier de « religieux » : Brice Parain, Pierre Klossowski, Pierre Leyris ou Jean Hyppolite. Une étonnante diversité directement issue de la période de gestation de la revue. Tout commence en effet en 1941. Marcel Moré réunit dans son appartement le tout Paris intellectuel de ces années de l’occupation au cours de « rencontres spirituelles ». On y voit défiler Raymond Queneau, Michel Leiris, Jean Paulhan, Jean Wahl, Nicolas Berdiaev, Alexandre Kojève, Albert Camus, Maurice Merleau-Ponty, Maurice Blanchot, Simone de Beauvoir ou encore Georges Bataille et Jean Paul Sartre[6].

En quelques 170 pages, Étienne Fouilloux parvient à ressusciter cet extraordinaire microcosme et à restituer avec rigueur l’histoire de cette revue. L’auteur domine si bien son sujet que ce livre, aboutissement d’une recherche débutée en 1969 et littérairement inaugurée par un article[7] en 1971, se lit d’une traite et passionne d’un bout à l’autre.
G. M.

Pour en savoir plus, il suffit de cliquer sur le livre ci-dessous :


Etienne Fouilloux éditions Beauchesne




[1] On lui doit, notamment, une passionnante monographie sur La collection « Sources chrétiennes », éd. Cerf, 2011.
[2] On peut consulter l’ensemble des 27 sommaires sur le site de la revue Communio
[3] Liminaire non signé, Dieu Vivant, Cahier n°1 (2e trimestre 1945), p. 5.
[4] Renvoi au recueil qui lui a été consacré, « Le très curieux Marcel Moré », Digraphe, 86-87, automne 1998.
[5] Liminaire non signé, Dieu Vivant, Cahier n°1 (2e trimestre 1945), p. 5-6.
[6] Il est à noter que ces deux derniers fonderont également une revue à une période concomitante : Les temps modernes en 1945 pour Jean Paul Sartre et Critique en 1946 pour Georges Bataille.
[7] Pour lire l’article paru dans la Revue de l’histoire de l’Eglise de France, il suffit de cliquer ici.

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