Pages

dimanche 3 juillet 2016

Une demi-heure en compagnie d’Henri-Irénée Marrou

Henri Irénée Marrou Beauchesne
Henri-Irénée Marrou
1904 - 1977
Henri-Irénée Marrou affirmait que « La valeur de la connaissance historique est directement fonction de la richesse intérieure, de l'ouverture d'esprit, de la qualité d'âme de l'historien qui l'a élaborée. [1]». S’il ne pensait évidement pas à lui en affirmant cela, les lecteurs de Marrou conviendront sans peine que la maxime s’applique parfaitement à son auteur.

Bien connue des universitaires, son œuvre l’est nettement moins du grand public. C’est que son nom a rarement dépassé le cercle des clercs[2]. Sa carrière fut jalonnée par une abondante production d’articles scientifiques ou politiques, et d’une dizaine d’ouvrages d’une qualité exceptionnelle. A commencer par sa thèse de doctorat Saint Augustin et la fin de la culture antique, qui, en 1938, analysait avec une fraîcheur nouvelle la culture antique finissante au travers du prisme augustinien.

Ce livre marque une date importante dans la restauration des études patristiques au sein de l’université, institution encore tétanisée par un certain positivisme.[3] Il est également le premier ouvrage de Marrou à traiter de Saint Augustin[4], qui, bien plus qu’un sujet d’étude, sera un véritable guide spirituel pour l’universitaire. Élu à la Sorbonne en 1946, il y occupa la chair d’histoire des origines chrétiennes jusqu’en 1975, date à laquelle son disciple et ami, Charles Pietri assura sa succession. Ce dernier souligna l’ampleur du redressement accompli par son aîné : « Henri Marrou arrivait à la Sorbonne dans une chaire laissée par Guignebert, un positiviste conjuguant la critique de Seignobos avec les leçons de Loisy. En face, beaucoup de catholiques de cette époque post-moderniste écrivaient souvent une chronique de l’Eglise, à la manière des Guelfes, comme l’illustration d’une institution militante. C’est une Nouvelle Histoire[5] qu’écrivit H. Marrou… »[6]

Un homme engagé


Les centres d’intérêt de Marrou furent nombreux : études augustiniennes nous l’avons vu, littérature grecque et latine chrétienne[7], épigraphie, histoire de l’éducation[8] et de la culture, musicologie, et méthodologie historique[9].

Mais cette extraordinaire profusion ne doit pas faire oublier l’homme engagé qu’était Marrou. Avec Emmanuel Mounier, il fut l'un des fondateurs de la revue Esprit en 1932, revue à laquelle il collabora jusqu’à sa mort. Durant la seconde guerre mondiale, il s’engagea dans la résistance et participa – avec quelques jésuites comme Gaston Fessard et laïcs comme André Mandouze – à la création des Cahiers du témoignage chrétien. Durant la guerre d’Algérie encore, il dénonça la répression et la torture en publiant dans Le Monde du 5 avril 1956 un article incendiaire qui lui valu une perquisition policière à son domicile.

C’est également cet aspect de la personnalité d’Henri-Irénée Marrou que le recueil de ses articles, paru au éditions Beauchesne, tente d’éclairer en révélant « le chrétien, le citoyen, l’universitaire, l’intellectuel, engagé dans le monde de son temps. »[10]  

On pourra écouter, en cliquant sur le lien ci-dessous, l’un des rares entretiens qu’Henri-Irénée Marrou accorda à une chaîne de télévision. Il s’agit de l’émission Rencontres diffusée par Radio-Canada, le 10 mars 1974. On y découvre avec plaisir le « débit haché, dû à l’asthme, et l’humour méridional »[11] d’Henri-Irénée Marrou : 


Disponible aux éditions Beauchesne : 


Editions Beauchesne Henri Irénée Marrou
472 pages, 27 euros



[1] Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, éd. du Seuil, coll. Points Histoire, 1975, p. 98
[2] Comme le souligne Olivier Dumoulin dans la notice qu’il consacre à Marrou au sein du Dictionnaire des intellectuels français, éd. du Seuil, 2002, p. 912.
[3] Pour s’en convaincre on lira l’article que Marie-Josèphe Rondeau consacra à « Jean Daniélou et Henri-Irénée Marrou et le renouveau des études patristique » in Les Pères de l’Eglise au XXe siècle. Histoire, Littérature, Théologie, Paris, éd. du Cerf, 1995, p. 351.
[4] Suivront le Traité de la musique selon l'esprit de saint Augustin en 1942, L'ambivalence du temps de l'histoire chez saint Augustin en 1950 et enfin Saint Augustin et l'augustinisme en 1955, qui est sans doute, à ce jour, la meilleure introduction à l’évêque d’Hippone.
[5] Nouvelle Histoire de l’Eglise, t. 1, 2e partie ; De la persécution de Dioclétien à la mort de Grégoire le Grand (303-604), Paris, éd. du Seuil, (la première partie de l’ouvrage est de Jean Daniélou).
[7] Il donna, dans la collection « Sources Chrétienne » une remarquable traduction commentée de l’épître A Diognète. Il faut également noter que Marrou entretint des relations très étroites avec cette collection dès sa fondation et qu’il fut l’ami de ses promoteurs, Henri de Lubac et Jean Daniélou. En avril 1943, il saluait la parution des premiers volumes de la collection « Sources Chrétiennes », dans un article de La vie spirituelle.
[8] Voir sa classique Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, éd. du Seuil, 1948.
[9] Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, éd. du Seuil, 1954. L’ouvrage fut salué par Philippe Ariès comme un « livre capital » et devrait servir de bréviaire à tous les apprentis historiens.
[10] Extrait de l’introduction que Jean-Marie Mayeur donna à Henri-Irénée Marrou. Crise de notre temps et réflexion chrétiennes, 1930-1975, éd. Beauchesne, 1978, p. 9.
[11] « La vie et l'œuvre d'Henri-Irénée Marrou » article de Jean Delumeau paru dans les Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Année 2004,  Volume 148,  Numéro 1, p. 225.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire