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mardi 6 février 2018

Les grands philosophes : Hans Blumenberg

Hans Blumenberg
1920-1996


Longtemps ignorée dans notre pays, il semble que l‘œuvre du philosophe allemand Hans Blumenberg ait finit par y trouver sa place, après un long et difficile parcours éditorial. Tout commence en 1990, lorsque les éditions de L’Arche font paraître un premier essai de l’auteur : Le souci traverse le fleuve. L’entreprise est courageuse, qui plus est pour une maison spécialisée dans le théâtre contemporain, mais ne sera pas couronnée de succès. L’éditeur se souvient en avoir alors vendu quelque 25 exemplaires… Qu’importe, il ne se décourage pas et fera paraître, au cours de cette même décennie, deux autres essais de Blumenberg. 

En 1999, c’est au tour des éditions Gallimard de publier un des plus fameux livres de Blumenberg, La Légitimité des Temps modernes. Mais là encore, les choses n’ont pas été simples. Denis Trierweiler, le traducteur dudit ouvrage, nous apprend qu’il avait rendu son travail dès 1993, et qu’il lui fallut lourdement insister auprès de l’illustre maison, afin qu’elle se décide à le faire paraître. De grands éditeurs se succèderont ensuite – le Seuil, le Cerf, les Belles Lettres – pour donner naissance aux éditions françaises de nombreux et divers autres textes du philosophe allemand. Pourquoi la France a-t-elle tant tardé à faire bon accueil à un penseur qui, dès les années 1970, était traduit et étudié dans les pays anglo-saxons aussi bien qu’en Italie ? La question reste entière et, au vu de la qualité des œuvres que l’on nous donne aujourd’hui à lire, parfaitement intrigante.

C’est maintenant au tour des excellentes éditions de l’éclat de nous proposer deux nouveaux livres de Blumenberg, qui sont une parfaite introduction à l’œuvre de cet auteur prolifique et encore mal connu. Aussi, et avant d’évoquer les ouvrages en question, nous nous proposons de vous donner à lire un rapide aperçu biographique.
  
Hans Blumenberg vient au monde en 1920, à Lübeck, une importante ville portuaire du Nord de l’Allemagne. Né dans en pays protestant d’un père catholique et marchand d’art et d’une mère d’origine juive, Hans reçoit une éducation religieuse catholique. Il fréquente le Katharineum, illustre gymnasium de Lübeck, où il obtient en 1939 l’équivalent du baccalauréat. Il doit alors y prononcer, en qualité de meilleur élève, un discours. Mais il en est empêché en raison des lois raciales de Nuremberg qui visent son ascendance juive.

Il entame ensuite des études de philosophie scolastique et néothomiste dans deux grandes institutions catholiques allemandes : l’Académie de philosophie et de théologie de Paderborn et l’École supérieure de philosophie et de théologie de Francfort-sur-le-Main. En 1941, les lois raciales le rattrapent une nouvelle fois et il est alors contraint d’interrompre ses études.

De 1941 à 1943, Blumenberg poursuivra donc par lui-même ses études, en se consacrant principalement à la philosophie médiévale. En 1943, il obtient un emploi dans l’industrie mais ne tarde pas à être interné dans un camp de travail nazi. Il s’en échappera à la première occasion et passera le reste de la guerre à Lübeck, réfugié au sein d’une famille hostile au régime. À la fin de la guerre, Blumberg épouse la fille de ses protecteurs et reprend ses études philosophiques à l’Université d’Hambourg. Il y suivra principalement l’enseignement de Ludwig Landgrebe, l’ancien assistant de Husserl, et y produira en 1947, une dissertation sur l’ontologie médiévale, avant de soutenir, en 1950, sa thèse d’habilitation intitulée « La distance ontologique. Une recherche sur la crise de la phénoménologie de Husserl ».

Blumenberg entamera ensuite une carrière universitaire qui l’amènera à enseigner la philosophie dans les villes d’Hambourg, Giessen, Bochum et, de 1970 à 1985 (date à laquelle il prend sa retraite), à l’Université de Münster. Il fut l’un des fondateurs du groupe « Poetik und Hermeneutik », actif à partir de 1963, et dont les travaux ont totalement renouvelé le champ des études littéraires et esthétiques. Entre 1964 et 1967 il dirigera, conjointement avec Jürgen Habermas et Dieter Henrich, la prestigieuse collection « Theorie » aux éditions Suhrkamp.

Au cours de sa carrière, Hans Blumenberg a publié de très nombreux articles et plusieurs dizaines d’ouvrages servis par une immense érudition qui embrassait tout le champ de la culture occidentale. Dès la fin des années 60, il occupe une place importante dans le paysage philosophique et universitaire allemand. Il fut membre de l’Académie d Sciences et Littérature de Mayence ainsi que de l’Institut international de Philosophie de Paris. En 1974, il reçut le prix Kuno Fischer à Heidelberg et, en 1980, le prix Sigmund Freud à Darmstadt. Il meurt à Altenberge le 28 mars 1996, il est alors âgé de 76 ans, laissant derrière lui un grand nombre de textes inédits.

Pour qui voudrait se familiariser avec l’œuvre foisonnante et polymorphe de cet auteur, les éditions de l’éclat offrent deux superbes portes d’entrée en publiant Théorie de l'inconceptualité et Concepts en histoires.

Dans Théorie de l'inconceptualité, texte inachevé, Blumenberg s’attache à définir la notion de concept, si essentielle à la philosophie. Qu’est-ce qu’un concept ? À quoi cela sert-il ? Pour répondre à ces questions, l’auteur emploie un biais que l’on peut qualifier d’anthropologique. Le concept vient à l’homme préhistorique lorsque ce dernier se met à chasser, tend des pièges et doit donc se figurer ce qui est absent, ce qui n’est qu’en devenir, à savoir, la proie. L’image est vigoureuse et permet de saisir le concept comme une construction qui s’ancre dans la nécessité, l’immédiateté et la dramaturgie du vécu. Le concept ne peut et ne doit donc pas être confondu, comme c’est bien trop souvent le cas, avec la philosophie. La philosophie existe pour analyser le concept et pour ce faire, doit œuvrer dans un champ d’inconceptualité. Ce thème, que Blumenberg avait déjà abordé dans Naufrage avec spectateurs, est ici retravaillé en profondeur. Il en résulte un petit livre dense et exigeant qui revient sur les questions qui ont toujours mobilisé le penseur : le mythe, la métaphore, le concept, les moyens d’expression et au final, toutes les expressions symboliques de la réalité.
   
De Blumenberg paraît également aux Éditions de l’éclat Concepts en histoires. Il s’agit là d’un recueil de 107 courts textes qui furent initialement publiés, de 1985 à 1990, dans le feuilleton littéraire du grand quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung. On y trouve des billets consacrés à Freud et Heidegger (l’un et l’autre gentiment brocardés), au bien-aimé Wittgenstein, à l’esthétique ou à la culture en général. La sagesse d’un penseur sans compromission, l’ironie, l’humour et parfois la mauvaise foi affleurent de ces textes parfaitement écrits, finement ciselés, où l’on découvre que derrière le philosophe se cache un écrivain de premier ordre. Qu’on en juge aux premières lignes qui ouvrent ce formidable recueil : 

« Mon père était un photographe passionné dont les succès étaient mitigés. Il compensait cette disproportion en l’inversant dans d’autres domaines. Quand j’y repense, il m’apparaît comme un pionnier de la photographie bien qu’il ait été en retard d’un bon demi-siècle. Néanmoins, ce qui fait le pionnier, ce sont l’allure et l’expression de l’effort, le poids de la sacoche, la sueur exigée par le transport... »

Pour en savoir plus :

éditions Beauchesne biographie Hans Blumenberg
256 pages, 25 euros
éditions Beauchesne biographie Hans Blumenberg
144 pages, 15 euros

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